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CONTES ET NOUVELLES.

Veuve du Roy dernier mort sans enfans,
Lequel laissa l’Estat sous la tutelle
De celuy-cy, Prince sage et prudent.
Nulle beauté n’estoit alors égale
A Teudelingue, et la conche Royale
De part et d’autre estoit asseurément
Aussi complette, autant bien assortie
Qu’elle fut onc, quand Messer Cupidon
En badinant fit choir de son brandon.
Chez Agiluf, droit dessus l’écurie,
Sans prendre garde, et sans se soucier
En quel endroit ; dont avecque furie
Le feu se prit au cœur d’un Muletier.
Ce Muletier estoit homme de mine,
Et démentoit en tout son origine,
Bien fait et beau, mesme ayant du bon sens.
Bien Ie monstra ; car s’estant de la Reine
Amouraché, quand il eut quelque temps
Fait ses efforts, et mis toute sa peine
Pour se guerir sans pouvoir rien gagner,
Le Compagnon fit un tour d’homme habile.
Maistre ne sçais meilleur pour enseigner
Que Cupidon ; l’ame la moins subtile
Sous sa ferule apprend plus en un jour,
Qu’un Maistre és Arts en dix ans aux écoles.
Aux plus grossiers par un chemin bien court
Il sçait montrer les tours et les paroles.
Le present Conte en est un bon témoin.
Nostre Amoureux ne songeoit, prés ny loin,
Dedans l’abord A joüir de sa Mie.
Se declarer de bouche ou par écrit
N’estoit pas sœur. Si se mit dans l’esprit,
Mourust ou non, d’en passer son envie,
Puis qu’aussi-bien plus vivre ne pouvoit ;
Et, mort pour mort, toûjours mieux luy valoit,
Eprouver tout, et tenter le hazard.
L’usage estoit chez le peuple Lombard