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PREMIERE PARTIE.

Loge un long trait, se munit le dedans ;
Pus souffre un coup avec grande constance.
Au deux, il dit : Donnez-moy patience,
Mon doux Jesus, en tous ces accidens.
Le tiers est rude, il en grince les dents,
Se courbe tout, et saute de sa place.
Au quart il fait une horrible grimace ;
Au cinq un cri : mais il n’est pas au bout ;
Et c’est grand cas s’il peut digerer tout.
On ne vit onc si cruelle avanture.
Deux forts paillards ont chacun un baston,
Qu’ils font tomber par poids et par mesure,
En observant la cadence et le ton.
Le mal-heureux n’a rien qu’une chanson :
Grace, dit-il. Mais las ! point de nouvelle ;
Car le Seigneur fait frapper de plus belle,
Juge des coups, et tient sa gravité,
Disant toûjours qu’il a trop de bonté.
Le pauvre diable enfin craint pour sa vie.
Aprés vingt coups d’un ton piteux il crie :
Pour Dieu cessez : helas ! je n’en puis plus.
Son Seigneur dit : Payez donc cent écus,
Net et contant : je sçais qu’à la desserre
Vous estes dur ; j’en suis fasché pour vous.
Si tout n’est prest, vostre compere Pierre
Vous en peut bien assister, entre nous.
Mais pour si peu vous ne vous feriez tondre.
Le mal-heureux, n’osant presque répondre,
Court au magot, et dit : c’est tout mon fait.
On examine, on prend un trébuchet.
L’eau cependant luy coule de la face :
Il n’a point fait encor telle grimace.
Mais que luy sert ? il convient tout payer.
C’est grand’pitié quand on fasche son maitre !
Ce Païsan eut beau s’humilier ;
Et pour un fait, assez leger peut-estre
Il se sentit enflâmer le gosier,