Je ne puis, et voudrois vous pouvoir écouter.
Ce qui me le défend, ce n’est point l’esclavage :
Si toûjours la naissance éleva mon courage,
Je me vois, grace aux Dieux, en des mains où je puis
Garder ces sentimens, malgré tous mes ennuis ;
Je puis même avoüer (helas ! faut-il le dire ?)
Qu’un autre a sur mon cœur conservé son empire.
Je cheris un amant, ou mort, ou dans les fers ;
Je prétens le cherir encore dans les enfers.
Pourriez-vous estimer le cœur d’une inconstante ?
Je ne suis déja plus aimable ny charmante ;
Cloris n’a plus ces traits que l’on trouvoit si doux,
Et, doublement esclave, est indigne de vous.
Touché de ce discours, Damon prend congé d’elle.
Fuyons, dit-il en soy ; j’oublieray cette Belle :
Tout passe, et même un jour ses larmes passeront ;
Voyons ce que l’absence et le temps produiront.
A ces mots il s’embarque, et, quittant le rivage,
Il court de mer en mer ; aborde un[1] lieu sauvage,
Trouve des malheureux de leurs fers échapez,
Et sur le bord d’un bois à chasser occupez.
Telamon, de ce nombre, avait brisé sa chaîne :
Aux regards de Damon il se presente à peine,
Que son air, sa fierte, son esprit, tout enfin
Fait qu’à l’abord Damon admire son destin,
Puis le plaint, puis l’emmeine, et puis luy dit sa flame.
D’une esclave, dit-il, je n’ay pû toucher l’ame :
Elle cherit un mort ! Unmort, ce qui n’est plus,
L’emporte dans son cœur ! mes vœux sont superflus.
Là-dessus, de Cloris il luy fait la peinture.
Telamon dans son ame admire l’avanture,
Dissimule, et se laisse emmener au sejour
Où Cloris luy conserve un si parfait amour.
Comme il vouloit cacher avec soin sa fortune,
Nulle peine pour luy n’étoit vile et commune.
On apprend leur retour et leur débarquement ;
- ↑ En, dans les Fables choisies de 1694.