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LES FILLES DE MINÉE.

La naissance, l’esprit, les graces, la beauté,
Tout se trouvoit en eux, hormis ce que les hommes
Font marcher avant tout dans ce siecle où nous sommes :
Ce sont les biens, c’est l’or, merite universel.
Ces amans, quoy qu’épris d’un desir mutuel,
N’osoient au blond Hymen sacrifier encore,
Faute de ce métail que tout le monde adore.
Amour s’en passeroit ; l’autre état ne le peut.
Soit raison, soit abus, le Sort ainsi le veut.
Cette loy, qui corrompt les douceurs de la vie,
Fut par le jeune amant d’une autre erreur suivie :
Le Démon des combats vint troubler l’Univers :
Un pays contesté par des peuples divers
Engagea Telamon dans un dur exercice ;
Il quita pour un temps l’amoureuse milice.
Cloris y consentit, mais non pas sans douleur ;
Il voulut meriter son estime et son cœur.
Pendant que ses exploits terminent la querelle,
Un parent de Cloris meurt, et laisse à la Belle
D’amples possessions et d’immenses tresors.
Il habitoit les lieux où Mars regnoit alors.
La Belle s’y transporte ; et par tout reverée,
Par tout des deux partis Cloris considerée
Void de ses propres yeux les champs où Telamon
Venoit de consacrer un trophée à son nom.
Luy de sa part accourt, et, tout couvert de gloire,
Il offre à ses amours les fruits de sa victoire.
Leur rencontre se fit non loin de l’élement
Qui doit être évité de tout heureux amant.
Dés ce jour l’âge d’or les eût joints sans mystere ;
L’âge de fer en tout a coutume d’en faire.
Cloris ne voulut donc couronner tous ces biens
Qu’au sein de sa patrie, et de l’aveu des siens.
Tout chemin, hors la mer, alongeant leur souffrance,
Ils commettent aux flots cette douce esperance.
Zephyre les suivoit, quand, presque en arrivant,
Un Pirate survient, prend le dessus du vent,
Les attaque, les bat. En vain, par sa vaillance,