Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
LES FILLES DE MINÉE.

Cet office luy fut plus cruel qu’indulgent :
L’infortuné mari, sans cesse s’affligeant,
Eût accrû par ses p]eurs le nombre des fontaines,
Si la Déesse enfin, pour terminer ses peines,
N’eût obtenu du Sort que l’on tranchât ses jours :
Triste fin d’un hymen bien divers en son cours !
Fuyons ce nœu, mes sœurs, je ne puis trop le dire :
Jugez par le meilleur quel peut être le pire.
S’il ne nous est permis d’aymer que sous ses loix,
N’aimons point. Ce dessein fut pris par toutes trois.
Toutes trois, pour chasser de si tristes pensées,
A revoir leur travail se montrent empressées.
Clymene, en un tissu riche, penible et grand,
Avoit presque achevé le fameux different
D’entre le Dieu des eaux et Pallas la sçavante.
On voyoit en lointain une ville naissante ;
L’honneur de la nommer, entr’eux deux contesté,
Dépendoit du present de chaque Deïté.
Neptune fit le sien d’un symbole de guerre ;
Un coup de son trident fit sortir de la terre
Un animal fougueux, un coursier plein d’ardeur.
Chacun de ce present admiroit la grandeur.
Minerve l’effaça, donnant à la contrée
L’Olivier, qui de paix est la marque assurée.
Elle emporta le prix, et nomma la cité :
Athene offrit ses vœux à cette Deïté.
Pour les luy presenter on choisit cent pucelles,
Toutes sçachant broder ; aussi sages que belles.
Les premieres portoient force presens divers,
Tout le reste entouroit la Déesse aux yeux pers.
Avec un doux souris elle acceptoit l’hommage.
Clymene ayant enfin reployé son ouvrage,
La jeune Iris commence en ces mots son recit :

Rarement pour les pleurs mon talent réüssit ;
Je suivray toutefois la matiere imposée.
Telamon pour Cloris avoit l’ame embrasée :
Cloris pour Telamon brûloit de son côté,