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LES FILLES DE MINÉE.

Et concourut aux traits dont l’amour se servit.
Le hazard, non le choix, avoit rendu voisines
Leurs maisons où regnoient ces guerres intestines :
Ce fut un avantage à leurs desirs naissans.
Le cours en commença par des jeux innocens :
La premiere étincelle eut embrasé leur ame,
Qu’ils ignoroient encor ce que c’étoit que flâme.
Chacun favorisoit leurs transports mutuels,
Mais c’étoit à l’insceu de leurs parens cruels.
La défence est un charme : on dit qu’elle assaisonne
Les plaisirs, et sur tout ceux que l’amour nous donne.
D’un des logis à l’autre, elle instruisit du moins
Nos Amans à se dire avec signes leurs soins.
Ce leger reconfort ne les put satisfaire ;
Il falut recourir à quelque autre mystere.
Un vieux mur entr’ouvert separoit leurs maisons ;
Le temps avoit miné ses antiques cloisons :
Là souvent de leurs maux ils déploroient la cause ;
Les paroles passoient, mais c’étoit peu de chose.
Se plaignant d’un tel sort, Pirame dit un jour :
Chere Thisbé, le Ciel veut qu’on s’aide en amour.
Nous avons à nous voir une peine infinie ;
Fuyons de nos parens l’injuste tyrannie :
J’en ay d’autres en Grece, ils se tiendront heureux
Que vous daigniez chercher un azyle chez eux ;
Leur amitié, leurs biens, leur pouvoir, tout m’invite
A prendre le parti dont je vous sollicite.
C’est vôtre seul repos qui me le fait choisir ;
Car je n’ose parler, helas ! de mon desir.
Faut-il à votre gloire en faire un sacrifice ?
De crainte des vains bruits faut-il que je languisse ?
Ordonnez ; j’y consens, tout me semblera doux ;
Je vous ayme, Thisbé, moins pour moy que pour vous.
J’en pourrois dire autant, luy repartit l’amante :
Vôtre amour étant pure, encor que vehemente
Je vous suivray par tout ; nôtre commun repos
Me doit mettre au dessus de tous les vains propos :
Tant que de ma vertu je seray satisfaite,