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PHILEMON ET BAUCIS.

Et par de tendres soins dés l’enfance élevée ;
Elle en veut faire un mets, et la poursuit en vain :
La volatille échape à sa tremblante main ;
Entre les pieds des Dieux elle cherche un asile.
Ce recours à l’oyseau ne fut pas inutile ;
Jupiter intercede. Et déja les valons
Voyoient l’ombre en croissant tomber du haut des monts.
Les Dieux sortent enfin, et font sortir leurs hôtes.
De ce Bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes ;
Suivez-nous. Toy, Mercure, apelle les vapeurs.
O gens durs ! vous n’ouvrez vos logis ny vos cœurs !
Il dit : et les Autans troublent déja la plaine.
Nos deux Epoux suivoient ne marchans qu’avec peine
Un appuy de roseau soulageoit leurs vieux ans :
Moitié secours des Dieux, moitié peur, se hâtans,
Sur un mont assez proche enfin ils arriverent ;
A leurs pieds aussi-tôt cent nuages creverent.
Des ministres du Dieu les escadrons flottans
Entraînerent, sans choix, animaux, habitans,
Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure ;
Sans vestige de[1] Bourg, tout disparut sur l’heure.
Les vieillards déploroient ces severes destins.
Les animaux perir ! car encor les humains,
Tous avoient dû tomber sous les celestes armes ;
Baucis en répandit en secret quelques larmes.
Cependant l’humble Toict devient Temple, et ses murs
Changent leur fresle enduit aux marbres les plus durs,
De pilastres massifs les cloisons revétuës
En moins de deux instans s’élevent jusqu’aux nuës ;
Le chaume devient or, tout brille en ce pourpris.
Tous ces evenemens sont peints sur le lambris.
Loin, bien loin les tableaux de Zeuxis et d’Apelle !
Ceux-cy furent tracez d’une main immortelle.
Nos deux Epoux, surpris, étonnez, confondus,
Se crurent, par miracle, en l’Olimpe rendus.
Vous comblez, dirent-ils, vos moindres creatures :

  1. Du, dans les Fables choisies de 1694.