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SECOND CHANT.

En deux tonneaux à part l’un et l’autre fut mis.
Ceux de nous que Jupin regarde comme amis
Puisent à leur naissance en ces tonnes fatales
Un mélange des deux, par portions égales ;
Le reste des humains abonde dans les maux.
Au seuil de son palais Jupin mit ces tonneaux.
Ce ne fut icy bas que plainte et que murmure ;
On accusa des maux l’excessive mesure.
Fatigué de nos cris, le Monarque des Dieux
Vint luy-même éclaircir la chose en ces bas lieux,
La renommée en fit aussi-tôt le message.
Pour luy representer nos maux et nos langueurs,
On députa deux harangueurs,
De tout le genre humain le couple le moins sage,
Avec un discours ampoulé
Exagerans nos maladies ;
Jupiter en fut ébranlé.
Ils firent un portrait si hideux de nos vies,
Qu’il inclina d’abord à reformer le tout.
Momus alors present reprit de bout en bout
De nos deux envoyez les harangues frivoles :
N’écoutez point, dit-il, ces diseurs de paroles ;
Qu’ils imputent leurs maux à leur déreglement,
Et non point aux Auteurs de leur temperament ;
Cette race pourroit, avec quelque sagesse,
Se faire de nos biens à soy-même largesse.
Jupiter crût Momus ; il fronça les sourcis :
Tout l’Olimpe en trembla sur ses poles assis.
Il dit aux Orateurs : Va, malheureuse engeance ;
C’est toy seule qui rends ce partage inegal :
En abusant du bien, tu fais qu’il devient mal,
Et ce mal est accrû par ton impatience.
Jupiter eut raison ; nous nous plaignons à tort :
La faute vient de nous aussi bien que du sort.
Les Dieux nous ont jadis deux vertus députées,
La constance aux douleurs, et la sobrieté :
C’étoit rectifier cette inégalité ;
Comment les avons-nous traitées ?