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POEME DU QUINQUINA.

Le fruit a pour pepins une graine onctueuse,
D’ample volume et précieuse :
Elle a l’effet du baume, et fournit aux humains,
Sans le secours du tems, sans l’adresse des mains,
Un remede à mainte blessure.
Sa feüille est semblable en figure
Aux tresors toûjours verts que mettent sur leur front
Les Heros de la Thrace et ceux du double mont[1].

Cet arbre ainsi formé se couvre d’une écorce
Qu’au Cinamone on peut comparer en couleur.
Quant à ses qualitez principes de sa force,
C’est l’âpre, c’est l’amer, c’est aussi la chaleur,
Celle-cy cuit les sucs de qualit6 loüable,
Dissipe ce qui nuit ou n’est point favorable ;
Mais la principale vertu
Par qui soit ce ferment dans nos corps combattu,
C’est cet amer, cet âpre, ennemis de l’acide,
Double frein qui, domptant sa fureur homicide,
Appaise les esprits de colere agitez ;
Non qu’enfin toutes âpretez
Causent le même effet, ny toutes amertumes :
La nature, toûjours diverse en ses coûtumes,
Ne fait point dans l’absynthe un miracle pareil ;
Il n’est deu qu’à ce bois, digne Fils du Soleil.
De luy dépend tout l’effet du remede :
Seul il commande aux fermens ennemis,
Bien que souvent on luy donne pour aide
La Centaurée, en qui le Ciel a mis
Quelque âpreté, quelque force astringente,
Non d’un tel prix, ny de l’autre approchante,
Mais quelquefois fébrifuge certain.
C’est une fleur digne aussi qu’on la chante ;
J’ay dit sa force, et voicy son destin.
Fille jadis, maintenant elle est plante.

  1. C’est-à-dire aux feuilles de laurier dont se couronnent les guerriers et les poëtes.