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CHANT PREMIER.

Tout s’altere ; et bien-tôt la raison prend l’essort.
Le Medecin confus redouble ses allarmes.
Une famille tout en larmes
Consulte ses regards : il a beau déguiser,
Aucun des assistans ne s’y laisse abuser.
Le malade luy-même a l’œil sur leur visage.
Tout ce qui l’environne est d’un triste présage ;
Sa moitié, des enfans, l’un l’appuy de ses jours,
Un autre entre les bras de ses chastes amours,
Une fille pleurante, et déja destinée
Aux prochaines douceurs d’un heureux hymenée.
Alors, alors, il faut oublier ces plaisirs.
L’ame en soy se rameine, encor que nos desirs
Renoncent à regret à des restes de vie.
Douce lumiere, helas ! me seras-tu ravie ?
Ame, où t’envoles-tu sans espoir de retour ?
Le malade, arrivé prés de son dernier jour,
Rappelle ces momens où personne ne songe
Aux remords trop tardifs où cet instant nous plonge.
Sur ce qu’il a commis il tasche à repasser :
En vain ; car le transport à ce foible penser
Fait bien-tôt succeder les folles réveries,
Le délire, et souvent le poison des furies.
On tente l’emetique alors infructueux,
Puis l’art nous abandonne au remede des vœux.

Pandore, que ta boëte en maux étoit feconde !
Que tu sceus temperer les douceurs de ce monde !
A peine en sommes-nous devenus habitans,
Qu’entourez d’ennemis dés les premiers instans,
Il nous faut par des pleurs ouvrir nôtre carriere.
On n’a pas le loisir de goûter la lumiere.
Miserables humains, combien possedez-vous
Un present si cher et si doux ?
Retranchez-en le tems dont Morphée est le maître ;
Retranchez ces jours superflus
Où nôtre ame ignorant son être
Ne se sent pas encore, ou bien ne se sent plus :