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POEME DE LA CAPTIVITE.

Je vous iray chercher tous trois jusqu’aux enfers.
Dans le goufre à ces mots l’ardeur le préipite.
Sa colere a bien-tost le sort qu’elle mérite.
A peine il est entré que les cruelles dents
Et les ongles félons s’impriment dans ses flancs.
Les Saints, loin d’en avoir une secrete joye,
Du party le plus fort craignent d’estre la proye,
Font des vœux pour l’Arabe, et tous deux soûpirans
Souhaitent un remords du moins à leurs tyrans :
Mais des suposts de Bel lame aux feux consacrée,
Victime nécessaire à l’Enfer est livrée.
Le Maistre et son Esclave, attendant le trépas,
Gisent ensanglantez, la mort leur tend les bras.
La cruelle moitié du monstre de Lybie
Traisne en ses magazins leurs deux corps, où la vie
Cherche encore un refuge, et quite en gémissant
Les Hostes que du Ciel elle obtint en naissant.
Le Lionceau se baigne en leur sang avec joye.
Il ne sçait pas rugir, et s’instruit à la proye.
Digne de ces leçons il commence à goûter
Les meurtres qu’il ne peut encore executer.
Aprés qu’il a joüi du crime de sa mere,
Et qu’ils ont assouvy leur faim et leur colere,
La Lionne repense à ces actes sanglans,
Emporte en d’autres lieux son fan avec les dents,
Quitte l’obscur séjour, et se sentant coupable,
Encor que faite au meurtre et de crainte incapable,
Elle fuit, et confie aux plus aspres rochers.
Du cruel nourrisson les jours qui luy sont chers.
Malc cherche aussi-bien qu’elle un plus certain azyle :
L’abord de ce séjour luy semble trop facile.
L’odeur des animaux, la piste de leurs pas,
La vengeance et le bruit de ces cruels trépas,
Tout luy fait redouter qu’une troupe infidele
N’évente les secrets que cét antre recelle,
Ne trouve l’innocent, en cherchant les Auteurs
De l’attentat commis sur ses persecuteurs.
La faim mesme, qui rend les Saints ses tributaires,