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POEME DE LA CAPTIVITE.

Nous y vivons pour vivre ; est-ce assez ? dites-moy.
Faut-il pas consacrer à l’auteur de son estre
Tous ses soins, tout son temps, enfin tout ce qu’un maistre
Et qu’un pere à la fois uniquement cheri
Exige de devoirs d’un couple favori ?
Dieu nous comble tous deux de ses faveurs celestes :
Il nous a dégagez de cent pieges funestes.
Sa grace est nostre guide ainsi que nostre appuy :
Nous ne perseverons dans le bien que par luy.
Allons nous acquiter de ce bien-fait immense.
Ici le jour finit, et puis il recommence
Sans que nous benissions le saint nom qu’à demi,
Ne vivans pas pour Dieu, mais pour son ennemi.
Ma sœur, si nous cherchions de plus douces demeures ?
Je vous ay fait recit quelquefois de ces heures
Qu’en des lieux separez de tout profane abord
Je passois à loüer l’arbitre de mon sort :
Alors j’avois pitié des heureux de ce monde.
Maintenant j’ay perdu cette paix si profonde :
Mon cœur est agité malgré tous vos avis.
Je ne me repens pas de les avoir suivis,
Mais enfin jettez l’œil sur l’estat où nous sommes.
Vous estes exposée aux malices des hommes.
Je n’ay plus de mes bois les saintes voluptez.
Ne reviendront-ils point ces biens que j’ay quittez ?
Ah ! si vous joüissiez de leur douceur esquise !
La fuite, direz-vous, ne nous est pas permise :
De nostre liberté l’Arabe est possesseur.
Et quel droit a sur nous un cruel ravisseur ?
Brisons ses fers ; fuyons sans avoir de scrupule :
Le mal est bien plus grand lors que l’on dissimule.
Quelque pretexte qu’ayt un mensonge pieux,
Il est toûjours mensonge, et toûjours odieux.
Allons vivre sans feinte en ces forests obscures
Où j’ay trouvé jadis des retraites si sures.
Ne tentons plus le Ciel : ayons une humble peur.
Je vous promets des jours tout remplis de douceur.
Il se teut. Aussi-tost la prudente Bergere