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PREMIERE PARTIE.

Vous entendrez son insolence extrême :
Lors d’un baston donnez-luy tant de coups,
Que le Galant demeure sur la place.
Je suis d’avis que le friponneau fasse
Tel compliment à des femmes d’honneur.
L’Espoux retint cette leçon par cœur.
Onc il ne fut une plus forte dupe
Que ce vieillard, bon-homme au demeurant.
Le temps venu d’attraper le Galant,
Messire Bon se couvrit d’une juppe,
S’encorneta, courut incontinent[1]
Dans le jardin, où ne trouva personne :
Garde n’avoit ; car tandis qu’il frissonne,
Claque des dents, et meurt quasi de froid,
Le Pelerin, qui le tout observoit,
Va voir la Dame ; avec elle se donne
Tout le bon temps qu’on a, comme je croy,
Lors qu’amour seul estant de la partie,
Entre deux draps on tient femme jolie ;
Femme jolie, et qui n’est point à soy.
Quand le Galant, un assez bon espace,
Avec la Dame eust esté dans ce lieu,
Force luy fut d’abandonner la place :
Ce ne fut pas sans le vin de l’adieu.
Dans le jardin il court en diligence.
Messire Bon, remply d’impatience,
A tous momens sa paresse maudit.
Le Pelerin, d’aussi loin qu’il le vid,
Feignit de croire appercevoir la Dame,
Et luy cria : Quoy donc, méchante femme !
A ton mary tu brassois un tel tour !
Est-ce le fruit de son parfait amour !
Dieu soit témoin que pour toy j’en ay honte :
Et de venir ne tenois quasi conte,

  1. Edition originale et 1re édition de la 1re partie, publiée en 1665 :
    S’encorneta, s’en fut incontinent.