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POEME DE LA CAPTIVITE.

Une Dame encor jeune, et sage en sa conduite,
Aux yeux de son époux dans les fers fut réduite.
Le mary se sauva regretant sa moitié ;
La femme alla servir un maistre sans pitié ;
Au Chef de ces brigands elle écheut en partage.
Cét homme possedoit un fertile heritage,
Et de plusieurs troupeaux dans l’ardente saison
vendoit à ses voisins le croist et la toison.
Nostre Heros suivit la Dame en servitude.
Ce fut lors, mais trop tard, que pour sa solitude,
Pour son cher Directeur et ses sages avis,
Il reprit des transports de pleurs en vain suivis.
Forests, s’écrioit-il, retraites du silence,
Lieux dont j’ay combatu la douce violence,
Angeliques citez d’où je me suis banni,
Je vous ay méprisez, deserts, j’en suis puni.
Ne vous verray-je plus ? Quoy ! songe, tu t’envoles !
O Malc ! tu vois le fruit de tes desseins frivoles !
Verse des pleurs amers, puisque tu t’es privé
Que ces pleurs bien-heureux où ton cœur s’est lavé.
Ainsi Malc regrettoit sa fortune passée.
Cependant des brigands la proye est entassée.
On l’emporte à grand bruit : ils s’en vont triomphans.
Leur Chef voulut que Malc adorast ses enfans,
Honneur dont on ne doit s’attribuer les marques
Qu’en voyant sous ses pieds les testes des Monarques.
Un Arabe exigea ce superbe tribut.
Si Malc s’en défendit, s’il l’osa, s’il le put,
S’il en subit la Loy sans peine et sans scrupule,
C’est ce qu’en ce récit l’Histoire dissimule[1].
Bien qu’à peine la Dame achevast son printemps,
Que son teint eust des jours aussi frais qu’éclatans,
L’Arabe n’en fit voir qu’une estime legere :

  1. Le récit de saint Malc, tel que saint Jérôme le rapporte, ne dissimule rien : Pervenimus ad interiorem solitudinem, ubi, dominam liberosque ex more gentis adorare jussi, cervices flectimus.