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DE SAINT MALC.

S’engage en des chemins pleins de perils et longs.
D’Édesse à Beroë sont de vastes sablons :
L’Astre dont les clartez sont esclaves du monde
Parcourt avec ennuy cette plaine inféconde :
S’il y void quelque objet, c’est un objet d’horreur.
Maint Arabe voisin y portoit la terreur.
Du Passant égorgé le corps sans sepulture
D’un ventre carnassier devenoit la pâture.
On voyoit succéder, en ces cruels sejours,
Aux brigands les Lions, aux Lions les Vautours.
Marcher seul en ces lieux eust eu de l’imprudence.
La Fortune joint Malc& des gens sans defense :
Peu de ieunesse entre-eux, force vieillards craintifs,
Femmes, famille, enfans aux cœurs desja captifs.
Ils traversoient la plaine aux zephyrs inconnuë :
Un gros de Sarrazins vient s’offrir à leur veuë,
Milice du Démon, gens hideux et hagards,
Engeance qui portoit la mort dans ses regards.
La cohorte du Saint d’abord est dispersée :
Equipage, tresors, jeune épouse est laissée.
Telle fuit la colombe, oubliant ses amours,
A l’aspect du Milan qui menace ses jours.
Telle l’ombre d’un Loup dans les verds pâturages
Écarte les troupeaux attentifs aux herbages.
Les compagnons de Malc, épandus par ces champs,
Tomboient sans resister sous le fer des brigands.
De toutes parts l’horreur regnoit en ce spectacle ;
La proye apportoit seule au meurtre de l’obstacle.
Ceux que l’amour du gain tira de leur foyer
Perdoient d’un an de peine en un jour le loyer.
Les peres chargez d’ans, laissans leurs tendres gages,
Fuyoient leur propre mort en ces funestes plages,
Et pour deux jours de vie abandonnoient un bien
Prés de qui vivre un siecle aux vrais peres n’est rien.
L’amant et la compagne à ses vœux destinée
Quitoient le doux espoir d’un prochain hymenée :
Mal-heureux ! l’un fuyoit ; on eust veu ses amours
Luy tendre en vain les bras implorans son secours.