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A D O N I S .

Une jument d’Ida l’engendra d’un des vents ;
Les forests l’ont nourri pendant ses premiers ans.
Il ne craint point des monts les puissantes barrieres,
Ny l’aspect étonnant des profondes rivieres,
Ny le panchant affreux des rocs et des vallons ;
D’haleine en le suivant manquent les Aquilons.
Adonis le retient pour mieux suivre la chasse.
Enfin le monstre est joint par deux chiens dont la race
Vient du viste Lelaps, qui fut l’unique prix
Des larmes dont Cephale appaisa sa Procris :
Ces deux chiens sont Melampe et l’ardente Sylvage.
Leur sort fut different, mais non pas leur courage :
Par l’homicide dent Melampe est mis à mort ;
Sylvage au poil de tigre attendoit mesme sort,
Lors que l’un des chasseurs se presente à la beste.
Sur luy tourne aussi-tost l’effort de la tempeste :
Il connoist, mais trop tard, qu’il s’est trop avancé ;
Son visage paslit, son sang devient glacé ;
L’image du trépas en ses yeux est emprainte :
Sur le teint des mourans la mort n’est pas mieux peinte.
Sa peur est pourtant vaine, et, sans estre blessé,
Du Monstre qui le heurte il se sent[1] terrassé.
Nisus, ayant cherché son salut sur un arbre,
Rit de voir ce chasseur plus froid que n’est un marbre[2] ;
Mais luy-mesme a sujet de trembler à son tour :
Le Sanglier coupe l’arbre, et les lieux d’alentour
Résonnent du fracas dont sa cheute est suivie ;
Nisus encor en l’air fait des vœux pour sa vie.
Conteray-je en détail tant de puissans efforts,
Des chiens et des chasseurs les differentes morts,
Leurs exploits avec eux cachez sous l’ombre noire ?
Seules vous les sçavez, ô filles de Memoire :
Venez donc m’inspirer ; et, conduisant ma voix,
Faites-moy dignement celebrer ces exploits.

  1. Il se voit, dans le manuscrit de 16?58.
  2. Manuscrit de 1658 :
    Contemple ce chasseur etendu comme un marbre.