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A D O N I S .

Quelles sont les douceurs qu’en ces bois ils gousterent !
O vous de qui les voix jusqu’aux astres monterent
Lors que par vos chansons tout l’Univers charmé
Vous ouït celebrer ce couple bien aimé,
Grands et nobles esprits, Chantres incomparables,
Meslez parmy ces sons vos accords admirables[1].
Echo, qui ne taist rien, vous conta ces amours ;
Vous les vistes gravez au fond des antres sourds ;
Faites que j’en retrouve au temple de Memoire
Les monumens sacrez, sources[2] de vostre gloire,
Et que, m’estant formé sur vos sçavantes mains ;
Ces vers puissent passer aux derniers des humains[3] !
Tout ce qui naist de doux en l’amoureux empire,
Quand d’une égale ardeur l’un pour l’autre on soûpire,
Et que, de la contrainte ayant banni les loix,
On se peut asseurer au silence des bois,
Jours devenus momens, momens filez de soye,

    Regardez quels honneurs vostre divinité
    Peut exiger de moy dans un bois ecarté.
    Je sçais vostre puissance à Paphos souveraine :
    Celle de vostre fils sans vous eust esté vaine :
    Et si je n’eusse veu vos celestes attraits,
    J’eusse empesché mon cœur d’estre en butte à ses traits.
    Mais nous est-il permis d’aymer une immortelle ?
    Tous les sujets d’Amour sont égaux, luy dit-elle,
    Et mesme la beauté, dont les traits sont si doux,
    Est quelque chose encor de plus divin que nous.
    Cependant que Venus par ces mots l’encourage,
    Il admire son port, sa taille et son visage :
    Leurs yeux ; qui pour témoins n’ont que les yeux du jour,
    Ne se rencontrent point sans se parler d’amour.

  1. Au lieu de ces quatre derniers vers on lit ceux qui suivent dans le manuscrit de 1658 :
    Quand par vous-mesme instruits de tels ravissemens,
    Vous chantez les plaisirs goustez par nos amans,
    Si jamais j’eus besoin des faveurs du Parnasse,
    Faites que je réponde à vos chants pleins de grâce.
  2. Autheurs, dans le manuscrit de 1658.
  3. Manuscrit de 1658 :
    Cecy puisse passer…