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A D O N I S .

Ne croyant pas qu’Amour pûst jamais l’y blesser[1].
A peine son menton d’un mol duvet s’ombrage,
Qu’aux plus fiers animaux il monstre[2] son courage.
Ce n’est pas le seul don qu’il ait receu des Dieux ;
Il semble estre formé pour le plaisir des yeux.
Qu’on ne nous vante point le ravisseur d’Helene,
Ny celuy qui jadis aymoit une ombre vaine,
Ny tant d’autres Heros fameux par leurs appas ;
Tous ont cedé le prix au fils de Cyniras.
Déja la Renommée, en naissant inconnuë,
Nymphe qui cache enfin sa teste dans la nüe[3],
Par un charmant recit amusant l’Univers,
Va parler d’Adonis à cent peuples divers,
A ceux qui sont sous l’Ourse, aux voisins de l’Aurore,
Aux filles du Sarmate, aux pucelles du More ;
Paphos sur ses autels le void presque eslever,
Et le cœur de Venus ne sçait où se sauver.
L’image du Heros, qu’elle a toûjours presente,
Verse au fond de son ame une ardeur violente :
Elle invoque son fils, elle implore ses traits,
Et tasche d’assembler tout ce qu’elle a d’attraits[4].
Jamais on ne luy vid un tel dessein de plaire ;
Rien ne luy semble bien, les Graces ont beau faire.
Enfin, s’accompagnant des plus discrets Amours,

  1. Manuscrit de 1658 :
    Ne croyant pas qu’Amour l’y pust venir blesser.
  2. Dans le manuscrit de 1658 : il fait voir.
  3. Dans le manuscrit de 1658, on lit, au lieu de ces sept derniers vers, ceux qui suivent :
    Et, bien qu’enfant du crime, il plaist à tous les yeux ;
    Cupidon prend chez luy ses plus certaines armes.
    Ce que Narcisse aymoit n’eut jamais tant de charmes,
    Aussi sçait-il ranger mille cœurs sous ses loix.
    Le bruit de sa beauté sort bien-tost de ces bois ;
    Dés-ja la Renommée, à courir toujours preste,
    Monstre qui jusqu’au ciel enfin porte sa teste..
  4. Ces quatre derniers vers ne se trouvent point dans le manuscrit de 1658.

La Fontaine.-- II.24