Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/361

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
CINQUIESME PARTIE.

Sans rien forcer et sans qu’on violente
Un incident qui ne s’attendoit pas.
L’aveugle Enfant, joueur de passe-passe,
Et qui voit clair à tendre maint panneau,
Fait de ces tours ; celui-là du berceau
Leve la paille à l’égard du Bocace[1] ;
Car, quant à moy, ma main pleine d’audace
En mille endroits a peut-être gâté
Ce que la sienne a bien exécuté.
Or il est temps de finir ma preface,
Et de prouver par quelque nouveau tour
Les quiproquo de Fortune et d’Amour.
On ne peut mieux établir cette Chose
Que par un fait à Marseille arrivé ;
Tout en est vray, rien n’en est controuvé.
Là Clidamant, que par respect je n’ose
Sous son nom propre introduire en ces vers,
Vivoit heureux, se pouvoit dire en femme
Mieux que pas un qui fust en l’Univers.
L’honnesteté, la vertu de ! a Dame,
Sa gentillesse, et même sa beauté,
Devoient tenir Clidamant arresté.
Il ne le fut. Le diable est bien habile,
Si c’est adresse et tour d’habileté
Que de nous tendre un piége anssi facile
Qu’est le desir d’un peu de nouveauté.
Prés de la Dame estoit une personne,
Une Suivante, ainsi qu’elle mignonne,
De même taille et de pareil maintien,
Gente de corps ; il ne lui manquoit rien
De ce qui plaist aux chercheurs d’avantures.
La Dame avoit un peu plus d’agrément,
Mais sous le masque on n’eust sceu bonnement
Laquelle élire entre ces creatures.
Le Marseillois, Provençal un peu chaud,
Ne manque pas d’attaquer au plustost

  1. Voyez ci-dessus, page 66.