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CONTES ET NOUVELLES.

Que Belphegor se laissast conjurer)
Il la refuse ; il se dit un pauvre homme,
Pauvre pecheur, qui sans sçavoir comment,
Sans dons du Ciel, par hazard seulement,
De quelques corps a chassé quelque Diable,
Apparemment chetif et miserable,
Et ne connoist celuy-cy nullement.
Il a beau dire, on le force, on l’ameine,
On le menace, on luy dit que, sous peine
D’être pendu, d’être mis haut et court
En un gibet, il faut que sa puissance
Se manifeste avant la fin du jour.
Dés l’heure même on vous met en presence
Nôtre Demon et son Conjurateur,
D’un tel combat le Prince est spectateur ;
Chacun y court ; n’est fils de bonne mere
Qui pour le voir ne quitte toute affaire.
D’un côté sont le gibet et la hart ;
Cent mille écus bien comptez d’autre part.
Matheo tremble et lorgne la finance.
L’esprit malin, voyant sa contenance,
Rioit sous cape, alleguoit les trois fois,
Dont Matheo suoit dans son harnois,
Pressoit, prioit, conjuroit avec larmes,
Le tout en vain. Plus il est en alarmes,
Plus l’autre rit. Enfin le manant dit
Que sur ce Diable il n’avoit nul credit.
On vous le hape ; et meine à la potence,
Comme il alloit haranguer l’assistance,
Necessité luy suggera ce tour :
Il dit tout bas qu’on batist le tambour ;
Ce qui fut fait, dequoy l’esprit immonde
Un peu surpris au manant demanda :
Pourquoy ce bruit ? coquin, qu’entends-je là ?
L’autre répond : C’est Madame Honnesta
Qui vous reclame, et va par tout le monde
Cherchant l’Epoux que le Ciel luy donna.
Incontinent le Diable décampa,