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CONTES ET NOUVELLES.

Cecy soit dit : venons à nôtre affaire[1].
  Un jour Satan, Monarque des enfers,
Faisoit passer ses sujets en reveuë.
Là confondus, tous les états divers,
Princes et Rois, et la tourbe menuë,
Jettoient maint pleur, poussoient maint et maint cri
Tant que Satan en étoit étourdi.
Il demandoit en passant à chaque ame :
Qui t’a jettée en l’eternelle flame ?
L’une disoit : Helas ! c’est mon mari ;
L’autre aussi-tôt répondoit : C’est ma femme.
Tant et tant fut ce discours repeté,
Qu’enfin Satan dit en plein Consistoire :
Si ces gens cy disent la verité,
Il est aisé d’augmenter nôtre gloire.
Nous n’avons donc qu’à le vérifier.
Pour cet effet, il nous faut envoyer
Quelque demon plein d’art et de prudence,
Qui, non content d’observer avec soin
Tous les hymens dont il sera témoin,
Y joigne aussi sa propre experience.
Le Prince ayant proposé sa sentence,
Le noir Senat suivit tout d’une voix.
De Belphegor aussi-tôt on fit choix.
Ce Diable etoit tout yeux et tout oreilles,
Grand éplucheur, clair-voyant à merveilles,
Capable enfin de penetrer dans tout,
Et de pousser l’examen jusqu’au bout.
Pour subvenir aux fraix de l’entreprise,
On luy donna mainte et mainte remise,
Toutes à veuë, et qu’en lieux differens
Il pût toucher par des correspondans.
Quant au surplus, les fortunes humaines,
Les biens, les maux, les plaisirs et les peines,
Bref, ce qui suit nôtre condition,

  1. Cette nouvelle forme la fable XXVII du recueil de 1694 ; seulement, le prologue qui précède a été supprimé.