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CONTES ET NOUVELLES.

Il en entend le bruit, il y court à grands pas,
Mais en vain, la chose étoit faite.
Il revient au tombeau conter son embarras,
Ne sçachant où trouver retraite.
L’esclave alors luy dit, le voyant éperdu :
L’on vous a pris vôtre pendu ?
Les Loix ne vous feront, dites-vous, nulle grace
Si Madame y consent, j’y remedieray bien.
Mettons nôtre mort en la place,
Les passans n’y connoitront rien,
La Dame y consentit. O volages femelles !
La femme est toûjours femme[1]. Il en est qui sont belles ;
Il en est qui ne le sont pas :
S’il en étoit d’assez fideles,
Elles auroient assez d’appas.
 
Prudes, vous vous devez défier de vos forces :
Ne vous vantez de rien. Si vôtre intention
Est de resister aux amorces,
La nôtre est bonne aussi ; mais l’execution
Nous trompe également ; témoin cette Matrone.
Et n’en déplaise au bon Petrone,
Ce n’étoit pas un fait tellement merveilleux
Qu’il en dût proposer l’exemple à nos neveux.
Cette veuve n’eut tort qu’au bruit qu’on luy vid faire,
Qu’au dessein de mourir, mal conceu, mal formé :
Car de mettre au patibulaire
Le corps d’un mary tant aimé,
Ce n’étoit pas peut-être une si grande affaire ;
Cela luy sauvoit l’autre : et, tout consideré,
Mieux vaut goujat debout qu’Empereur enterré.

  1. Cet hémistiche proverbial est tiré du Dépit amoureux (acte IV, sc. II) :
    Et comme un animal est tousjours animal,
    Et ne sera jamais qu’animal, quand sa vie
    Dureroit cent mil ans ; aussi, sans repartie,
    La femme est tousjours femme….