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CONTES ET NOUVELLES.

Chaque mere à sa bru l’alleguoit pour Patron ;
Chaque époux la prônoit à sa femme chérie :
D’elle descendent ceux de la Prudoterie,
Antique et celebre maison.
Son mari l’aimoit d’amour folle.
Il mourut. De dire comment,
Ce seroit un détail frivole ;
Il mourut, et son testament
N’étoit plein que de legs qui l’auroient consolée,
Si les biens réparoient la perte d’un mari
Amoureux autant que cheri.
Mainte veuve pourtant fait la déchevelée,
Qui n’abandonne pas le soin du demeurant,
Et du bien qu’elle aura fait le compte en pleurant.
Celle-cy, par ses cris, mettoit tout en allarme ;
Celle-cy faisoit un vacarme,
Un bruit, et des regrets à percer tous les cœurs ;
Bien qu’on sçache qu’en ces malheurs,
De quelque desespoir qu’une ame soit atteinte,
La douleur est toûjours moins forte que la plainte ;
Toûjours un peu de faste entre parmi les pleurs.
Chacun fit son devoir de dire à l’affligée
Que tout a sa mesure, et que de tels regrets
Pourroient pécher par leur excés :
Chacun rendit par là sa douleur rengregée.
Enfin, ne voulant plus joüir de la clarté
Que son époux avoit perduë,
Elle entre dans sa tombe, en ferme volonté
D’accompagner cette ombre aux enfers descenduë.
Et voyez ce que peut l’excessive amitié !
(Ce mouvement aussi va jusqu’à la folie)
Une esclave en ce lieu la suivit par pitié,
Prête à mourir de compagnie ;
Prête, je m’entends bien ; c’est à dire, en un mot,
N’ayant examine qu’à demi ce complot,
Et, jusques à l’effet, courageuse et hardie.
L’esclave avec la Dame avoit été nourrie ;
Toutes deux s’entraimoient, et cette passion