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CINQUIESME PARTIE.

Voila mon sort, dit Aminte à Damon :
J’étois un jour seulette à la maison ;
Il me vint voir certain fils de famille,
Bien-fait et beau, d’agreable façon :
J’en eus pitié ; mon naturel est bon,
Et, pour conter tout de fil en aiguille,
Il m’est resté de ce fait un garçon.
Elle eut à peine achevé la parolle,
Que du mari l’ame jalouse et folle
Au desespoir s’abandonne aussi-tôt ;
Il sort plein d’ire, il descend tout d’un saut,
Rencontre un bast, se le met, et puis crie :
Je suis basté. Chacun au bruit accourt,
Les pere et mere, et toute la mégnie,
Jusqu’aux voisins. Il dit, pour faire court,
Le beau sujet d’une telle folie.
Il ne faut pas que le Lecteur oublie
Que les parens d’Aminte, bons Bourgeois,
Et qui n’avoient que cette fille unique,
La nourrissoient, et tout son domestique,
Et son époux, sans que, hors cette fois,
Rien eût troublé la paix de leur famille.
La mere donc s’en va trouver sa fille ;
Le pere suit, laisse sa femme entrer,
Dans le dessein seulement d’écouter.
La porte étoit entr’ouverte ; il s’approche
Bref, il entend la noise et le reproche
Que fit sa femme à leur fille, en ces mots :
Vous avez tort : j’ay veu beaucoup de sots,
Et plus encor de sottes, en ma vie ;
Mais qu’on pût voir telle indiscrétion,
Qui l’auroit crû ? Car enfin, je vous prie,
Qui vous forçoit ? Quelle obligation
De reveler une chose semblable ?
Plus d’une fille a forligné ; le diable
Est bien subtil ; bien malins sont les gens :
Non pour cela que l’on soit excusable ;
Il nous faudroit toutes dans des Couvents