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CONTES ET NOUVELLES.

De plus en plus sa poursuite s’augmente.
Madame Alis s’emporte, se tourmente :
Quel malheureux ! Puis, l’autre la quittant,
Elle le mande. Il vient tout à l’instant.
Dire en quels mots Alis fit sa harangue,
Il me faudroit une langue de fer ;
Et, quand de fer j’aurois même la langue,
Je n’y pourrois parvenir : tout l’enfer
Fut employé dans cette reprimande.
Allez, satan ; allez, vray lucifer,
Maudit de Dieu. La fureur fut si grande,
Que le pauvre homme, étourdi dés l’abord,
Ne sceut que dire ; avoüer qu’il eût tort,
C’étoit trahir par trop sa conscience.
Il s’en retourne, il rumine, il repense,
Il rêve tant, qu’enfin il dit en soy :
Si c’étoit là quelque ruse d’Aminte !
Je trouve, helas ! mon devoir dans sa plainte.
Elle me dit : O Cleon ! aime-moy,
Ayme-moy donc, en disant que je l’ayme.
Je l’ayme aussi, tant pour son stratagême
Que pour ses traits. J’avouë en bonne foy
Que mon esprit d’abord n’y voyoit goute ;
Mais à present je ne fais aucun doute ;
Aminte veut mon cœur assurémenat.
Ah ! si j’osois, dés ce même moment
Je l’irois voir ; et, plein de confiance,
Je luy dirois quelle est la violence,
Quel est le feu dont je me sens épris.
Pourquoy n’oser ? offense pour offense,
L’amour vaut mieux encor que le mépris.
Mais si l’époux m’attrapoit au logis !…
Laissons-la faire, et laissons-nous conduire.
Trois autres jours n’étoient passez encor,
Qu’Aminte va chez Alis, pour instruire
Son cher Cleon du bon-heur de son sort.
Il faut, dit-elle, enfin que je deserte ;
Vôtre parent a résolu ma perte ;