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CONTES ET NOUVELLES.

Il étoit vieux ; elle, à peine en cet âge
Où, quand un cœur n’a point encore aymé,
D’un doux objet il est bien-tôt charmé.
Celuy d’Aminte ayant sur son passage
Trouvé Cleon, beau, bien fait, jeune, et sage,
Il s’acquita de ce premier tribut,
Trop bien peut-être, et mieux qu’il ne falut :
Non toutefois que la belle n’oppose
Devoir et tout à ce doux sentiment ;
Mais lors qu’Amour prend le fatal moment,
Devoir et tout, et rien c’est même chose.
Le but d’Aminte en cette passion
Estoit, sans plus, la consolation
D’un entretien sans crime, où la pauvrette
Versât ses soins en une ame discrette.
Je croirois bien qu’ainsi l’on le prétend ;
Mais l’appetit vient toûjours en mangeant :
Le plus seur est ne se point mettre à table.
Aminte croit rendre Cleon traitable :
Pauvre ignorante ! elle songe au moyen
De l’engager à ce simple entretien,
De luy laisser entrevoir quelque estime,
Quelque amitié, quelque chose de plus,
Sans y méler rien que de legitime :
Plûtôt la mort empêchât tel abus !
Le poinct étoit d’entamer cette afaire.
Les lettres sont un étrange mystere ;
Il en provient maint et maint accident ;
Le meilleur est quelque seur confident.
Où le trouver ? Geronte est homme à craindre.
J’ay dit tantôt qu’Amour sçavoit atteindre
A ses desseins d’une ou d’autre façon ;
Cecy me sert de preuve et de leçon.
Cleon avoit une vieille parente,
Severe et prude, et qui s’attribuoit
Autorité sur luy de gouvernante.
Madame Alis (ainsi l’on l’appelloit)
Par un beau jour eut de la jeune Aminte