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CONTES ET NOUVELLES.

Je couvriray pour vous de fleurs tout ce rivage :
Trop heureux si vos pas le daignent honorer,
Et qu’au fonds de mes eaux vous daigniez vous mirer !
Je rendray toutes vos Compagnes
Nymphes aussi, soit aux montagnes,
Soit aux eaux, soit aux bois ; car j’étends mon pouvoir
Sur tout ce que vôtre œil à la ronde peut voir.
L’éloquence du Dieu, la peur de luy déplaire,
Malgré quelque pudeur qui gâstoit le mystere,
Conclurent tout en peu de temps.
La superstition cause mille accidents.
On dit même qu’Amour intervint à l’affaire.
Tout fier de ce succés, le Banni dit adieu.
Revenez, dit-il, en ce lieu :
Vous garderez que l’on ne sçache
Un hymen qu’il faut que je cache :
Nous le declarerons quand j’en auray parlé
Au conseil qui sera dans l’Olimpe assemblé.
La nouvelle Déesse à ces mots se retire ;
Contente ? Amour le sçait. Un mois se passe et deux,
Sans que pas un du bourg s’apperceût de leurs jeux.
O mortels ! est-il dit qu’à force d’être heureux
Vous ne le soyez plus ! Le Banni, sans rien dire,
Ne va plus visiter cet antre si souvent.
Une nopce enfin arrivant,
Tous, pour la voir passer, sous l’orme se vont rendre.
La Belle apperçoit l’homme, et crie en ce moment :
Ah ! voila le fleuve Scamandre !
On s’étonne, on la presse ; elle dit bonnement
Que son hymen se va conclure au Firmament.
On en rit ; car que faire ? Aucuns à coups de pierre
Poursuivirent le Dieu, qui s’enfuit à grand’erre ;
D’autres rirent sans plus. Je croy qu’en ce temps-cy
L’on feroit au Scamandre un trés-méchant party.
En ce temps-là semblables crimes
S’excusoient aisément : tous temps, toutes maximes.
L’épouse du Scamandre en fut quitte à la fin
Pour quelques traits de raillerie :