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CONTES ET NOUVELLES.

Fut un jour par les sœurs donnée à cet Amant ;
Et, pour rendre complet le divertissement,
Bacchus avec Cérés, de qui la compagnie
Met Venus en train bien souvent,
Devoient estre ce coup de la cérémonie.
Propreté toucha seule aux apprets du régal ;
Elle sceut s’en tirer avec beaucoup de grace :
Tout passa par ses mains, et le vin et la glace,
Et les caraffes de cristal ;
On s’y seroit miré. Flore à l’haleine d’ambre
Sema de fleurs toute la chambre ;
Elle en fit un jardin. Sur le linge, ces fleurs
Formoient des las d’amour, et le chifre des sœurs,
Leurs Cloistrieres excellences
Aimoient fort ces magnificences :
C’est un plaisir de None. Au reste, leur beauté
Aiguisoit l’appetit aussi de son costé.
Mille secrettes circonstances
De leurs corps polis et charmans
Augmentoient l’ardeur des Amans.
Leur taille estoit presque semblable ;
Blancheur, delicatesse, embonpoint raisonnable,
Fermeté ; tout charmoit, tout estoit fait au tour.
En mille endroits nichoit l’amour :
Sous une guimpe, un voile, et sous un scapulaire,
Sous ceci, sous cela que void peu l’œil du jour,
Si celuy du galant ne l’appelle au mistere.
A ces sœurs l’enfant de Cytere
Mille fois le jour s’en venoit
Les bras ouverts, et les prenoit
L’une aprés l’autre pour sa mère.

Tel ce couple attendoit le Bachelier trop lent ;
Et de luy, tout en l’attendant,
Elles disoient du mal, puis du bien ; puis les belles
Imputoient son retardement
A quelques amitiez nouvelles.
Qui peut le retenir ? disoit l’une ; est-ce amour ?