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QUATRIESME PARTIE.

Au demeurant il estoit fort sensible
A l’interest, aymoit fort les presens.
Son concurrent n’avoit encor sceu dire
Le moindre mot à l’objet de ses vœux :
On ignoroit, ce luy sembloit, ses feux,
Et le surplus de l’Amoureux martyre
(Car c’est toûjours une mesme chanson).
Si l’on l’eust sceu, qu’eust-on fait ? Que fait-on ?
Jà n’est besoin qu’au lecteur je le die.
Pour revenir à nostre pauvre Amant,
Il n’avoit sceu dire un mot seulement
Au Medecin touchant sa maladie.
Or le voila qui tourmente sa vie,
Qui va, qui vient, qui court, qui perd ses pas :
Point de fenestre et point de jalousie
Ne luy permet d’entrevoir les appas
Ny d’entrouïr la voix de sa Maitresse.
Il ne fut onc semblable forteresse.
Si faudra-t-il qu’elle y vienne pourtant.
Voicy comment s’y prit nostre assiegeant.
Je pense avoir des-ja dit, ce me semble,
Qu’Aldobrandin homme à presens étoit ;
Non qu’il en fist, mais il en recevoit.
Le Magnifique avoit un Cheval d’amble,
Beau, bien taillé, dont il faisoit grand cas :
Il l’appelloit, à cause de son pas,
La haquenée. Aldobrandin le loüe :
Ce fut assez ; nôtre Amant proposa
De le troquer. L’Epoux s’en excusa :
Non pas, dit-il, que je ne vous avoüe
Qu’il me plaît fort ; mais à de tels marchés
Je perds toûjours. Alors le Magnifique,
Qui void le but de cette politique,
Reprit : Eh bien ! faisons mieux : ne troquez ;
Mais, pour le prix du Cheval, permettez
Que, vous présent, j’entretienne Madame :
C’est un désir curieux qui m’a pris.