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QUATRIESME PARTIE.


XIV. — LA CHOSE IMPOSSIBLE.



Un demon, plus noir que malin,
Fit un charme si souverain
Pour l’Amant de certaine belle,
Qu’à la fin celuy-cy posseda sa cruelle.
Le pact de nostre Amant et de l’esprit folet,
Ce fut que le premier joüiroit à souhait
De sa charmante inexorable.
Je te la rends dans peu, dit Satan, favorable :
Mais par tel si, qu’au lieu qu’on obeit au Diable
Quand il a fait ce plaisir là,
A tes commandemens le Diable obeira
Sur l’heure mesme, et puis, sur la mesme heure,
Ton serviteur Lutin, sans plus Iongue demeure,
Ira te demander autre commandement
Que tu luy feras promptement ;
Toûjours ainsi, sans nul retardement :
Sinon ny ton corps ny ton ame
N’appartiendront plus à ta Dame ;
Ils seront à Satan, et Satan en fera
Tout ce que bon lui semblera.
Le Galand s’accorde à cela.
Commander estoit-ce un mystere ?
Obeïr est bien autre affaire.
Sur ce penser là nostre Amant
S’en va trouver sa belle, en a contentement ;
Gouste des voluptez qui n’ont point de pareilles ;
Se trouve trés heureux, hormis qu’incessamment
Le Diable estoit à ses oreilles.
Alors l’Amant lui commandoit
Tout se qui lui venoit en teste ;
De bâtir des Palais, d’exciter la tempeste :
En moins d’un tour de main cela s’accomplissoit.