Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
PREMIERE PARTIE.

Lauriers d’autant plus beaux qu’il ne leur en cousta
Qu’un peu d’adresse, et quelques feintes larmes ;
Et que loin des dangers et du bruit des allarmes,
L’un et l’autre les remporta.
Tout fiers d’avoir conquis les cœurs de tant de belles,
Et leur livre estant plus que plein[1],
Le Roy Lombard dit au Romain :
Retournons au logis par le plus court chemin :
Si nos femmes sont infidelles,
Consolons-nous, bien d’autres le sont qu’elles.
La constellation changera quelque jour :
Un temps viendra, que le flambeau d’amour
Ne bruslera les cœurs que de pudiques flâmes :
A present on diroit que quelque astre malin
Prend plaisir aux bons tours des maris et des femmes.
D’ailleurs tout l’Univers est plein
De maudits enchanteurs, qui des corps et des ames
Font tout ce qu’il leur plaist : sçavons nous si ces gens,
(Comme ils sont traistres et meschans,
Et toûjours ennemis, soit de l’un, soit de l’autre)
N’ont point ensorcelé mon espouse et la vostre ?
Et si, par quelque estrange cas,
Nous n’avons point creu voir chose qui n’estoit pas ?
Ainsi que bons bourgeois achevons nostre vie,
Chacun prés de sa femme, et demeurons-en là.
Peut-estre que l’absence, ou bien la jalousie,
Nous ont rendu leurs cœurs, que l’Hymen nous osta.
Astolphe rencontra dans cette prophetie.
Nos deux avanturiers, au logis retournez,
Furent tres-bien receus, pourtant un peu grondez,
Mais seulement par bien-seance.
L’un et l’autre se vid de baisers regalé :
On se recompensa des pertes de l’absence.
Il fut dansé, sauté, balé,
Et du nain nullement parlé,

  1. Edition originale :
    Et leur livre estant presque plein.