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QUATRIESME PARTIE.

Demeurast court faute d’invention ;
Amour fait tant qu’enfin il a son conte.
Certain Cuvier, dont on fait certain conte,
En fera foy. Voicy ce que j’en sçais,
Et qu’un quidam me dit ces jours passés.
Dedans un bourg ou ville de Province
(N’importe pas du titre ny du nom),
Un Tonnelier et sa femme Nanon
Entretenoient un mesnage assez mince.
De l’aller voir amour n’eut à mépris,
Y conduisant un de ses bons amis,
C’est cocüage ; il fut de la partie :
Dieux familiers et sans ceremonie,
Se trouvans bien dans toute hostellerie :
Tout est pour eux bon giste et bon logis,
Sans regarder si c’est louvre ou cabane.
Un drosle donc caressoit Madame Anne :
Ils en estoient sur un poinct, sur un poinct…
C’est dire assez de ne le dire point ;
Lors que l’Espoux revient tout hors d’haleine
Du Cabaret ; justement, justement…
C’est dire encor ceci bien clairement.
On le maudit ; nos gens sont fort en peine.
Tout ce qu’on put fut de cacher l’Amant :
On vous le serre en haste et promptement
Sous un cuvier, dans une cour prochaine.
Tout en entrant l’Espoux dit : J’ay vendu
Nostre Cuvier. Combien ? dit Madame Anne.
Quinze beaux francs. Va, tu n’es qu’un gros asne,
Repartit-elle, et je t’ay d’un escu
Fait aujourd’huy profit par mon adresse,
L’ayant vendu six écus avant toy.
Le Marchand voit s’il est de bon alloy,
Et par dedans le taste piece à piece,
Examinant si tout est comme il faut,
Si quelque endroit n’a point quelque defaut.
Que ferois-tu, malheureux, sans ta femme ?
Monsieur s’en va chopiner, cependant