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CONTES ET NOUVELLES.

Sans en avoir d’autre raison[1]
Que d’éprouver ma patience ;
Je me suis, malgré moy, jusqu’au jour rendormy.
Que s’il vous eust pleu, nostre amy,
J’aurois couru volontiers quelque poste.
C’eust esté tout, n’ayant pas la riposte
Ainsi que vous : qu’y feroit-on ?
Pour Dieu, reprit son compagnon,
Cessez de vous railler, et changeons de matiere.
Je suis votre vassal, vous l’avez bien fait voir.
C’est assez que tantost il vous ait pleu d’avoir
La fillette toute entiere :
Disposez-en ainsi qu’il vous plaira ;
Nous verrons si ce feu toûjours vous durera.
Il pourra, dit le Roy, durer route ma vie,
Si j’ay beaucoup de nuits telles que celle-cy.
Sire, dit le Romain, trêve de raillerie,
Donnez-moy mon congé, puis qu’il vous plaist ainsi.
Astolphe se piqua de cette répartie ;
Et leurs propos s’alloient de plus en plus aigrir,
Si le Roy n’eust fait venir
Tout incontinent la belle.
Ils luy dirent : Jugez-nous,
En luy contant leur querelle,
Elle rougit, et se mit à genoux ;
Leur confessa tout le mystere.
Loin de luy faire pire chere,
Ils en rirent tous deux : l’anneau luy fut donné,
Et maint bel écu couronné,
Dont peu de temps aprés on la vid mariée,
Et pour pucelle employée.
Ce fut par-là que nos avanturiers
Mirent fin à leurs avantures,
Se voyant chargez de lauriers
Qui les rendront fameux chez les races futures :

  1. Edition originale :
    N’en ayant point d’autre raison…