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QUATRIESME PARTIE.

Qu’un petit Roy, sans te tourmenter tant,
Que me veux tu donner pour mes estreines ?
Pierre répond : Parbleu ! messire Jean,
Je suis à vous ; disposez de mes peines,
Car vous sçavez que c’est tout mon vaillant.
Nôtre cochon ne nous faudra pourtant ;
Il a mangé plus de son, par mon ame !
Qu’il n’en tiendroit trois fois dans ce tonneau,
Et d’abondant, la vache à nôtre femme
Nous a promis qu’elle feroit un veau :
Prenez le tout. Je ne veux nul salaire,
Dit le Pasteur ; obliger mon compere
Ce m’est assez. Je te diray comment :
Mon dessein est de rendre Magdeleine
Jument le jour, par art d’enchantement,
Luy redonnant sur le soir forme humaine.
Trés-grand profit pourra certainement
T’en revenir ; car mon Asne est si lent,
Que du marché, l’heure est presque passée
Quand il arrive ; ainsi tu ne vends pas
Comme tu veux, tes herbes, ta denrée,
Tes choux, tes aulx, enfin tout ton tracas.
Ta femme, estant jument forte et menbrüe,
Ira plus viste ; et si tost que chez toy :
Elle sera du marché[1] revenuë,
Sans pain ny soupe, un peu d’herbe menuë
Luy suffira. Pierre dit : Sur ma foy !
Messire Jean, vous estes un sage homme.
Voyez que c’est d’avoir étudié !
Vend-on cela ? Si j’avois grosse somme,
Je vous l’aurois parbleu bien tost payé.
Jean poursuivit : Or çà, je t’aprendray

  1. On lit ici logis au lieu de marché dans toutes les éditions publiées du vivant de l’auteur. C’est seulement en 1710 que ce dernier mot paroît. La correction qui a été faite semble indispensable, mais les éditeurs modernes auroient dû, tout en l’adoptant, faire connoître l’état du texte.