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CONTES ET NOUVELLES.

Et son louchet, dont, pour toute ustensille,
Pierre faisoit subsister sa famille.
Il avoit femme et belle et jeune encor,
Ferme sur tout ; le hasle avoit fait tort
A son visage et non à sa personne.
Nous autres gens peut-estre aurions voulu
Du délicat ; ce rustiq ne m’eust plu :
Pour des Curez la paste en estoit bonne,
Et convenoit à semblables amours.
Messire Jean la regardoit toûjours
Du coin de l’œil, toûjours tournoit la teste
De son costé, comme un chien qui fait feste
Aux os qu’il void n’estre par trop chétifs ;
Que s’il en void un de belle apparence,
Non décharné, plein encor de substance,
Il tient dessus ses regards attentifs :
Il s’inquiete, il trepigne, il remüe
Oreille et queüe ; il a toujours la veüe
Dessus cet os, et le ronge des yeux
Vingt fois devant que son palais s’en sente.
Messire Jean tout ainsi se tourmente
A cet objet pour luy delicieux.
La Villageoise estoit fort innocente,
Et n’entendoit aux façons du Pasteur
Mystere aucun ; ny son regard flateur
Ny ses presens ne touchoient Magdeleine :
Bouquets de thin et pots de Marjolaine
Tomboient à terre : avoir cent menus soins,
C’estoit parler bas-breton tout au moins.
Il s’avisa d’un plaisant stratagême.
Pierre estoit lourd, sans esprit : je crois bien
Qu’il ne se fust précipité luy mesme,
Mais par delà de luy demander rien
C’estoit abus et trés grande sottise.
L’autre luy dit : Compere mon ami,
Te voila pauvre, et n’ayant à demi
Ce qu’il te faut ; si je t’apprends la guise
Et le moyen d’estre un jour plus contant