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QUATRIESME PARTIE.

Tout homme est gascon sur ce poinct.
Les avis du Docteur furent bons : le jeune homme
Se campe en une Église où venoit tous les jours
La fleur et l’élite de Rome,
Des Graces, des Venus, avec un grand concours
D’amours :
C’est à dire, en chrestien, beaucoup d’Anges femelles :
Sous leurs voiles brilloient des yeux pleins d’eteincelles.
Benistier, le lieu saint n’estoit pas sans cela :
Nostre homme en choisit un chanceux pour ce poinct là ;
A chaque objet qui passe adoucit ses prunelles ;
Reverences, le drosle en faisoit des plus belles,
Des plus dévotes : cependant
Il offroit l’eau lustrale. Un Ange, entre les autres,
En prit de bonne grace. Alors l’étudiant
Dit en son cœur : Elle est des nôtres.
Il retourne au logis : vieille vient ; rendez-vous :
D’en conter le détail, vous vous en doutez tous.
Il s’y fit nombre de folies.
La Dame estoit des plus jolies,
Le passe temps fut des plus doux.
Il le conte au Docteur. Discretion françoise
Est chose outre nature et d’un trop grand-effort.
Dissimuler un tel transport,
Cela sent son humeur bourgeoise.
Du fruit de ses conseils le Docteur s’applaudit,
Rit en Jurisconsulte, et des maris se raille.
Pauvres gens qui n’ont pas l’esprit
De garder du loup leur oüaille !
Un berger en a cent ; des hommes ne sçauront
Garder la seule qu’ils auront !
Bien luy sembloit ce soin chose un peu malaisée,
Mais non pas impossible ; et, sans qu’il eust cent yeux,
Il défioit, graces aux Cieux,
Sa femme, encor que trés rusée.
A ce discours, ami Lecteur,
Vous ne croiriez jamais, sans avoir quelque honte,
Que l’heroïne de ce conte