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QUATRIESME PARTIE.
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De ce gaillard entretien
La Reyne n’entendit rien ;
Elle l’eust pris pour outrage :
Car en ce siecle ignorant
Le beau sexe estoit sauvage.
Il ne l’est plus maintenant ;
Et des loüanges, pareilles
De nos Dames d’apresent
N’écorchent point les oreilles.
Nostre examinateur soupiroit dans sa peau ;
L’émotion croissoit, tant tout luy sembloit beau.
Le Prince, s’en doutant, l’emmena ; mais son ame
Emporta cent traits de flame :
Chaque endroit lança le sien ;
Helas ! fuir n’y sert de rien ;
Tourmens d’amour font si bien
Qu’ils sont toûjours de la suite.
Prés du prince, Gygés eut assez de conduite ;
Mais de sa passion la Reyne s’apperceut.
Elle sceut
L’origine du mal ; le Roy, prétendant rire,
S’avisa de luy tout dire.
Ignorant ! sçavoit-il point
Qu’une Reyne sur ce poinct
N’ose entendre raillerie ?
Et supposé qu’en son cœur
Cela luy plaise, elle rie,
Il luy faut, pour son honneur,
Contrefaire la furie.
Celle-cy le fut vrayment,
Et reserva dans soy-mesme
De quelque vengeance extréme
Le desir trés-vehement.
Je voudrois pour un moment,
Lecteur, que tu fusses femme :
Tu ne sçaurois autrement
Concevoir jusqu’où la Dame
Porta son secret dépit.