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CONTES ET NOUVELLES.

De ses sujets il imprimoit des choses
Qui de maint fait courageux estoyent causes.
Il choisissoit entre eux les plus hardis ;
Et leur faisoit donner du paradis
Un avantgoust à leurs sens perceptible :
Du paradis de son legislateur ;
Rien n’en a dit ce prophete menteur
Qui ne devinst trés-croyable et sensible
A ces gens là : comment s’y prenoit-on ?
On les faisoit boire tous de façon
Qu’ils s’enyvroient, perdoient sens et raison.
En cet estat, privez de connoissance,
On les portoit en d’agreables lieux,
Ombrages frais, jardins delicieux.
Là se trouvoient tendrons en abondance,
Plus que maillez, et beaux par excellence :
Chaque réduit en avoit à couper.
Si se venoient joliment atrouper
Prés de ces gens, qui, leur boisson cuvée,
S’émerveilloient de voir cette couvée,
Et se croyoient habitans devenus
Des champs heureux qu’assine à ses élus
Le faux Mahom. Lors de faire accointance,
Turcs d’aprocher, tendrons d’entrer en danse,
Au gazouillis des ruisseaux de ces bois,
Au son de luts[1] accompagnans les voix
Des rossignols : il n’est plaisir au monde
Qu’on ne goûtast dedans ce paradis :
Les gens trouvoient en son charmant pourpris
Les meilleurs vins de la machine ronde,
Dont ne manquoient encor de s’enyvrer,
Et de leurs sens perdre l’entier usage.
On les faisoit aussi-tost reporter
Au premier lieu. De tout ce tripotage
Qu’arrivoit-il ? Ils croyoient fermement

  1. Edition de 1685 :
    Au son des luts…