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QUATRIESME PARTIE.

L’autre au marché porta son chaume vendre :
On le hüa ; pas un n’en offrit rien ;
Le pauvre diable estoit prest à se pendre.
Il s’en alla chez son copartageant :
Le drosle avoit la touzelle vendüe,
Pour le plus seur, en gerbe, et non batüe,
Ne manquant pas de bien cacher l’argent.
Bien le cacha ; le diable en fut la dupe.
Coquin, dit-il, tu m’as joüé d’un tour ;
C’est ton métier : je suis diable de cour
Qui, comme vous, à tromper ne m’occupe.
Quel grain veux-tu semer pour l’an prochain ?
Le manant dit : Je crois qu’au lieu de grain
Planter me faut ou navets ou carottes :
Vous en aurez, Monseigneur, pleines hottes,
Si mieux n’aymez raves dans la saison.
Raves, navets, carottes, tout est bon,
Dit le lutin ; mon lot sera hors terre ;
Le tien dedans. Je ne veux point de guerre
Avecque toy si tu ne m’y contraints.
Je vais tenter quelques jeunes Nonains.
L’auteur ne dit ce que firent les Nones.
Le temps venu de recueillir encor,
Le manan prend raves belles et bonnes ;
Feuilles sans plus tombent pour tout tresor
Au diableteau, qui, l’épaule chargée,
Court au marché. Grande fut la risée ;
Chacun luy dit son mot cette fois là.
Monsieur le diable, où croist cette denrée ?
Où mettrez-vous ce qu’on en donnera ?
Plein de courroux, et vuide de pecune,
Leger d’argent, et chargé de rancune,
Il va trouver le manant qui rioit
Avec sa femme, et se solacioit.
Ah par la mort, par la sang, par la teste,
Dit le demon, il le payra, par bieu.
Vous voicy donc, Phlipot, la bonne bête !
Cà, cà, galons-le en enfant de bon lieu.

La Fontaine. -- II.