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QUATRIESME PARTIE.

Fut à souffrir assez aysée ;
Je n’en parleray point ; seulement on sçaura
Que messieurs les Curez, en tous ces cantons là,
Ainsi qu’au nostre, avoient des devots et devotes,
Qui pour l’examen de leurs fautes
Leur payoient un tribut ; qui plus, qui moins, selon
Que le compte à rendre estoit long.
Du tribut de cet an Anne estant soucieuse,
Arrive que Guillot pesche un brochet fort grand ;
Tout aussitost le jeune amant
Le donne à sa maistresse ; elle toute joyeuse
Le va porter du mesme pas
Au Curé messire Thomas.
Il reçoit le present, il l’admire, et le drosle
D’un petit coup sur l’épaule
La fillette regala,
Luy sourit, luy dit : Voilà
Mon fait, joignant à cela
D’autres petites affaires.
C’estoit jour de Calande[1], et nombre de confreres
Devoient disner chez luy. Voulez-vous doublement
M’obliger ? dit-il à la belle ;
Accommodez chez vous ce poisson promptement,
Puis l’apportez incontinent ;
Ma servante est un peu nouvelle.
Anne court ; et voilà les Prestres arrivez.
Grand bruit, grande cohüe, en cave on se transporte :
Aucuns des vins sont approuvez ;
Chacun en raisonne à sa sorte.
On met sur table ; et le Doyen
Prend place en salüant toute la compagnie.
Raconter leurs propos seroit chose infinie ;
Puis le lecteur s’en doute bien.

  1. C’est un jour où tous les Curez du Diocèse s’assemblent, pour parler des affaires communes, chez quelqu’un d’eux, qui leur donne à disner ordinairement ; et cela se fait tous les mois.
    (Note de La Fontaine.)