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QUATRIESME PARTIE.

Et s’il me plaisoit de dire,
Au lieu d’Anne, Sylvanire,
Et, pour messire Thomas,
Le grand Druide Adamas,
Me mettroit-on à l’amande ?
Non : mais tout consideré,
Le présent conte demande
Qu’on dise Anne et le Curé.
Anne, puisqu’ainsi va, passoit dans son village
Pour la perle et le parangon.
Estant un jour prés d’un rivage,
Elle vid un jeune garçon
Se baigner nud. La fillette estoit drüe,
Honneste toutefois. L’objet plût à sa veüe.
Nuls defaux ne pouvoient estre au gars reprochez ;
Puis, dés auparavant aymé de la bergere,
Quand il en auroit eu l’amour les eust cachez ;
Jamais tailleur n’en sceut, mieux que luy, la maniere.
Anne ne craignoit rien : des saules la couvroient
Comme eust fait une jalousie :
Cà et là ses regards en liberté couroyent
Où les portoit leur fantaisie ;
Cà et là, c’est à dire aux differents attraits
Du garçon au corps jeune et frais,
Blanc, poli, bien formé, de taille haute et drete,
Digne enfin des regards d’Annete.
D’abord une honte secrete
La fit quatre pas reculer,
L’amour huit autres avancer :
Le scrupule survint, et pensa tout gâter.
Anne avoit bonne conscience :
Mais comment s’abstenir ? Est-il quelque défense
Qui l’emporte sur le desir,
Quand le hazard fait naistre un sujet de plaisir ?
La belle à celuy-cy fit quelque résistance.
A la fin ne comprenant pas
Comme on peut pécher de cent pas,
Elle s’assit sur l’herbe, et, trés-fort attentive,