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CONTES ET NOUVELLES.

Qui sur ce poinct triomphent de s’étendre :
Tiennette n’a ny surot ny malandre,
Dit le second ; Jeanne, dit le premier,
A le corps net comme un petit denier ;
Ma foy, c’est basme. Et Tiennette est ambroise,
Dit son époux ; telle je la maintiens.
L’autre reprit : compere, tiens-toy bien,
Tu ne connois Jeanne ma villageoise ;
Je t’advertis qu’à ce jeu… m’entens-tu ?
L’autre Manant jura : Par la vertu,
Tiennette et moy nous n’avons qu’une noise,
C’est qui des deux y sçait de meilleurs tours ;
Tu m’en diras quelques mots dans deux jours.
A toy, Compere. Et de prendre la tasse,
Et de trinquer. Allons, sire Oudinet,
A Jeanne ; tope[1]. Puis à Tiennette ; masse.
Somme qu’enfin la soûte du Mulet
Fut accordée, et voila marché fait.
Nostre Notaire asseura l’un et l’autre
Que tels Traitez alloient leur grand chemin :
Sire Oudinet estoit un bon apostre,
Qui se fit bien payer son parchemin.
Par qui payer ? Par Jeanne et par Tiennette :
Il ne voulut rien prendre des maris.
Les Villageois furent tous deux d’avis
Que pour un temps la chose fût secrette ;
Mais il en vint au Curé quelque vent.
Il prit aussi son droit ; je n’en asseure,
Et n’y estois ; mais la vérité pure
Est que Curez y manquent peu souvent.
Le Clerc non plus ne fit du sien remise ;
Rien ne se pert entre les gens d’Église.
Les Permuteurs ne pouvoient bonnement
Executer un pareil changement

  1. Dans les éditions suivantes, top au lieu de tope qui donne au vers une syllabe de trop.