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TROISIESME PARTIE.

Princes, Roys, Magistrats : ainsi quand une belle
En croira l’usage permis,
quand Venus ne fera que ce que fait Themis,
Je ne m’écrieray pas contre-elle.
On a bien plus d’une querelle
A luy faire sans celle-là,
Un Juge Mantoüan belle femme épousa.
Il s’appelloit Anselme ; on la nommoit Argie ;
Luy déja vieux barbon, elle jeune et jolie,
Et de tous charmes assortie.
L’Epoux, non content de cela,
Fit si bien par sa jalousie,
Qu’il rehaussa de prix celle-là qui d’ailleurs
Meritoit de se voir servie
Par les plus beaux et les meilleurs.
Elle le fut aussi : d’en dire la maniere,
Et comment s’y prit chaque Amant,
Il seroit long ; suffit que cet objet charmant
Les laissa soûpirer, et ne s’en emût guere.
Amour établissoit chez le Juge ses loix ;
Quand l’Estat Mantoüan, pour chose de grand poids,
Resolut d’envoyer ambassade au Saint Pere.
Comme Anselme estoit Juge, et de plus Magistrat,
Vivoit avec assez d’éclat ;
Et ne manquoit pas de prudence,
On le députe en diligence.
Ce ne fut pas sans resister,
Qu’au choix qu’on fit de luy consentit le bon homme :
L’affaire estoit longue à traiter ;
Il devoit demeurer dans Rome
Six mois, et plus encor ; que sçavoit-il combien ?
Tant d’honneur pouvoit nuire au conjugal lien :
Longue ambassade et long voyage
Aboutissent à cocüage.
Dans cette crainte, nostre Epoux
Fit cette harangue à la Belle.
On nous sépare, Argie ; adieu, soyez fidele
A celuy qui n’aime que vous.