Car un jour estant seul en une galerie,
Lieu solitaire et tenu fort secret,
II entendit en certain cabinet,
dont la cloison n’estoit que de menuiserie,
Le propre discours que voicy :
Mon cher Curtade, mon soucy,
J’ay beau t’aymer, tu n’es pour moy que glace :
Je ne vois pourtant, Dieu mercy,
Pas une beauté qui m’efface :
Cent Conquérans voudroient avoir ta place,
Et tu sembles la mépriser,
Aymant beaucoup mieux t’amuser
A jouer avec quelque Page
Au Lansquenet,
Que me venir trouver seule en ce cabinet.
Dorimene tantost t’en a fait le message ;
Tu t’es mis contre elle à jurer,
A la maudire, à murmurer,
Et n’as quitté le jeu que ta main estant faite,
Sans te mettre en soucy de ce que je souhaite.
Qui fut bien étonné ? ce fut nostre Romain.
Je donnerois jusqu’à demain
Pour deviner qui tenoit ce langage,
Et quel estoit le personnage
Qui gardoit tant son quant à moy.
Ce bel Adon estoit le nain du Roy,
Et son Amante estoit la Reine.
Le Romain, sans beaucoup de peine,
Les vid, en approchant les yeux
Des fentes que le bois laissoit en divers lieux.
Ces Amans se fioient au soin de Dorimene ;
Seule elle avoit toûjours la clef de ce lieu-là,
Mais la laissant tomber, Joconde la trouva,
Puis s’en servit, puis en tira
Consolation non petite ;
Car voicy comme il raisonna,
Je ne suis pas le seul, et puis que mesme on quitte
Un Prince si charmant pour un nain contrefait,
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