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CONTES ET NOUVELLES.

Une Belle pourtant l’aima :
C’estoit la fille de son Maistre,
Fille aimable autant qu’on peut l’estre,
Et ne tournant autour du pot ;
Soit par humeur franche et sincere,
Soit qu’il fust force d’ainsi faire,
Estant tombée aux mains d’un sot.
Quelqu’un de trop de hardiesse
Ira la taxer, et moy non :
Tels procedez ont leur raison.
Lors que l’on aime une Deesse,
Elle fait ces avances-là :
Nostre Belle sçavoit cela.
Son esprit, ses traits, sa richesse,
Engageoient beaucoup de jeunesse
A sa recherche : heureux seroit
Celuy d’entre-eux qui cueilleroit
En nom d’Himen, certaine chose
Qu’à meilleur titre elle promit
Au Jouvenceau cy-dessus dit :
Certain Dieu parfois en dispose,
Amour nommé communément.
Il plut à la Belle d’élire
Pour ce point l’apprenty Marchand.
Bien est vray (car il faut tout dire)
Qu’il estoit trés-bien fait de corps,
Beau, jeune, et frais : ce sont tresors
Que ne méprise aucune Dame,
Tant soit son esprit precieux.
Pour une qu’Amour prend par l’ame,
Il en prend mille par les yeux.
Celle-cy donc, des plus galantes,
Par mille choses engageantes
Taschoit d’encourager le gars,
N’estoit chiche de ses regards,
Le pinçoit, luy venoit sousrire,
Sur les yeux luy mettoit la main,
Sur le pied luy marchoit enfin.