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TROISIESME PARTIE.

Cela sembloit contre toute apparence.
Elle va donc en travers se placer
Aux pieds du Sire, et d’abord les luy baise ;
Mais point trop fort, de peur de le blesser
On peut juger si Camille estoit aise.
Quelle victoire ! Avoir mis à ce poinct
Une beauté si superbe et si fiere !
Une beauté ! Je ne la décris point ;
Il me faudroit une semaine entiere :
On ne pouvoit reprocher seulement
Que la pasleur à cet objet charmant ;
Pasleur encor dont la cause estoit telle
Qu’elle donnoit du lustre à nostre Belle.
Camille donc s’estend, et sur un sein
Pour qui l’yvoire auroit eu de l’envie
Pose ses pieds, et sans ceremonie
Il s’accommode, et se fait un coussin[1] :
Puis feint qu’il cede aux charmes de Morphée :
Par les sanglots nostre Amante estouffée
Lasche la bonde aux pleurs cette fois-là.
Ce fut la fin. Camille l’appella
D’un ton de voix qui plut fort à la Belle.
Je suis content, dit-il, de vostre amour :
Venez, venez, Constanse, c’est mon tour.
Elle se glisse ; et luy s’approchant d’elle :
M’avez-vous cru si dur et si brutal
Que d avoir fait tout de bon le severe ?
Dit-il d’abord ; vous me connoissez mal :
Je vous voulois donner lieu de me plaire.
Or bien je sçais le fonds de vostre cœur.
Je suis contant, satisfait, plein de joye,
Comblé d’amour : et que vostre rigueur,
Si bon luy semble a son tour se deploye ;
Elle le peut : usez-en librement.
Je me declare aujourd’huy vostre Amant,

  1. Edition de 1685 :
    Il s’accommode et s’en fait un coussin.