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TROISIESME PARTIE.
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Mangeurs de gens : l’un sur un roc assis
Chantoit aux vents ses amoureux soucis
Et, pour charmer sa Nymphe joliette,
Tailloit sa barbe, et se miroit dans l’eau.
L’autre changea sa massuë en fuseau
Pour le plaisir d’une jeune fillette.
J’en dirois cent : Bocace en rapporte un[1],
Dont j’ay trouvé l’exemple peu commun.
C’est de Chimon, jeune homme tout sauvage,
Bien fait de corps, mais ours quant à l’esprit.
Amour le léche, et tant qu’il le polit.
Chimon devint un galand personnage.
Qui fit cela ? deux beaux yeux seulement.
Pour les avoir apperceus un moment,
Encore à peine, et voilez par le somme,
Chimon aima, puis devint honneste homme.
Ce n’est le poinct dont il s’agit icy.
Je veux conter comme une de ces femmes
Qui font plaisir aux enfans sans soucy
Put en son cœur loger d’honnestes flâmes.
Elle estoit fiere et bizarre sur tout :
On ne sçavoit comme en venir à bout.
Rome c’estoit le lieu de son negoce :
Mettre à ses pieds la Mitre avec la Crosse
C’estoit trop peu ; les simples Monseigneurs
N’estoient d’un rang digne de ses faveurs.
Il luy faloit un homme du Conclave,
Et des premiers, et qui fust son esclave ;
Et mesme encore il y profitoit peu,
A moins que d’estre un Cardinal nepveu.
Le Pape enfin, s’il se fut piqué d’elle,
N’auroit esté trop bon pour la Donzelle.
De son orgueil ses habits se sentoient.
Force brillans sur sa robe éclatoient,
La chamarure avec la broderie.
Luy voyant faire ainsi la rencherie,

  1. Decameron, giornata V, novella I.