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CONTES ET NOUVELLES.
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Mais à la fin il y boit tant,
Que le breuvage se répand.
Ce fut bien là le comble. O science fatale,
Science que Damon eust bien fait d’éviter ;
Il jette de fureur cette coupe infernale.
Luy-mesme est sur le point de se précipiter.
Il enferme sa femme en une Tour quarrée
Luy va soir et matin reprocher son forfait :
Cette honte qu’auroit le silence enterrée,
Court le païs, et vit du vacarme qu’il fait.
 
Caliste cependant meine une triste vie.
Comme on ne luy laissoit argent ny pierrerie,
Le Geolier fut fidelle ; elle eut beau le tenter.
Enfin la pauvre mal-heureuse
Prend son temps que Damon, plein d’ardeur amoureuse
Estoit d’humeur à l’éouter.
J’ay, dit-elle, commis un crime inexcusable :
Mais quoy, suis-je la seule ? helas, non ; peu d’époux
Sont exempts, ce dit-on, d’un accident semblable.
Que le moins entaché se moque un peu de vous.
Pourquoy donc estre inconsolable ?
Hé bien, reprit Damon, je me consoleray,
Et mesme vous pardonneray,
Tout incontinent que j’auray
Trouvé de mes pareils une telle legende
Qu’il s’en puisse former une armée assez grande
Pour s’appeler Royale. Il ne faut qu’employer
Le vase qui me sceut vos secrets reveler.

Le mary sans tarder executant la chose,
Attire les passans, tient table en son Château.
Sur la fin des repas, à chacun il propose
L’essay de cette coupe, essay rare et nouveau.
Ma femme, leur dit-il, m’a quitté pour un autre ;
Voulez-vous sçavoir si la vostre
Vous est fidelle ? il est quelquefois bon
D’apprendre comme tout se passe à la maison.