Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183
TROISIESME PARTIE.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Et prenant plaisir à ce jeu
Qu’il n’est pas besoin que je nomme :
Un personnage expert aux choses de l’amour,
Hardy comme un homme de Cour,
Bien-fait, et promettant beaucoup de sa personne ;
Où Damon jusqu’alors avoit-il mis ses yeux ?
Car d’amis ! Moquez-vous ; c’est une bagatelle.
En est-il de Religieux
Jusqu’à desemparer alors que la Donzelle
Montre à demy son sein sort du lit un bras blanc,
Se tourne, s’inquiete, et regarde un Galant
En cent façons de qui la moins friponne
Veut dire : Il y fait bon, l’heure du Berger sonne ;
Estes vous sourd ? Damon a dans l’esprit
Que tout cela s’est fait, du moins qu’il s’est pû faire.
Sur ce beau fondement le pauvre homme bâtit
Maint ombrage et mainte chimere.
Nerie en a bien-tost le vent,
Et pour tourner en certitude
Le soupçon et l’inquietude
Dont Damon s’est coiffé si mal-heureusement,
L’Enchanteresse luy propose
Une chose ;
C’est de se frotter le poignet
D’une eau dont les Sorciers ont trouvé le secret,
Et qu’ils appellent l’eau de la metamorphose,
Ou des miracles autrement.
Cette drogue en moins d’un moment
Luy donneroit d’Eraste et l’air, et le visage,
Et le maintien, et le corsage,
Et la voix ; et Damon, sous ce feint personnage,
Pourroit voir si Caliste en viendroit à l’effet.
Damon n’attend pas davantage.
Il se frote, il devient l’Eraste le mieux fait
Que la nature ait jamais fait.

En cet estat il va trouver sa femme,
Met la fleurette au vent ; et cachant son ennuy :