Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
CONTES ET NOUVELLES.

Sauf d’en user avec plus de prudence,
Ne luy faisant la mesme confidence.
Entre les gens qu’elle sceut attirer,
Deux siens voisins se laisserent leurrer
A l’entretien libre et gay de la Dame ;
Car c’estoit bien la plus trompeuse femme
Qu’en ce point-là l’on eust sceu rencontrer ;
Sage sur tout, mais aimant fort à rire.
Elle ne manque incontinent de dire
A son mary l’amour des deux Bourgeois
Tous deux gens sots, tous deux gens à sornettes :
Luy raconta mot pour mot leurs fleurettes,
Pleurs et soûpirs, gemissemens Gaulois.
Ils avoient leu ou plustost oüy dire,
Que d’ordinaire en amour on soûpire.
Ils taschoient donc d’en faire leur devoir,
Que bien que mal, et selon leur pouvoir.
A frais communs se conduisoit l’affaire.
Ils ne devoient nulle chose se taire.
Le premier d’eux qu’on favoriseroit
De son bon-heur part à l’autre feroit.
Femmes, voilà souvent comme on vous traite.
Le seul plaisir est ce que l’on soubaite.
Amour est mort : le pauvre compagnon
Fut enterré sur les bords du Lignon.
Nous n’en avons icy ny vent ny voye.
Vous y servez de joüet et de proye
A jeunes gens indiscrets, scelerats :
C’est bien raison qu’au double on le leur rende :
Le beau premier qui sera dans vos lacs,
Plumez le moy, je vous le recommande.
La Dame donc, pour tromper ses voisins,
Leur dit un jour : Vous boirez de nos vins
Ce soir chez nous. Mon mary s’en va faire
Un tour aux champs ; et le bon de l’affaire
C’est qu’il ne doit au giste revenir.
Nous nous pourrons à l’aise entretenir.
Bon, dirent-ils, nous viendrons sur la brune.